L’EuroLeague a décidé d’instaurer un salary cap dès l’année prochaine. Quelles ont été les motivations de la ligue pour agir si vite ? Quel impact cela pourrait avoir ? Décryptage des dessous du salary cap en EuroLeague.
Il était dans les petits papiers depuis quelques temps, et l’EuroLeague a décidé de passer à l’action. Le salary cap va enfin être instauré dans la plus grande compétition européenne, et ce, dès l’année prochaine. Mais quel est le but de ce cap salarial ? La recherche d’une meilleure homogénéité entre les équipes, pour rendre la compétition encore plus ouverte ? Certes, mais bien plus que cela.
[Le salary cap expliqué en détail]
« Je trouve que l’idée est bonne, réagit à chaud Stephen Brun, consultant pour RMC Sport, lorsque nous l’interrogeons sur le sujet. Ça va permettre de resserrer les disparités entre des clubs qui ont des modes de fonctionnement différents. Certains ont la chance d’avoir des milliardaires derrière eux, que d’autres n’ont pas. » C’est là le premier objectif de l’EuroLeague : réduire autant que possible l’écart entre les équipes participantes.
« Cette mesure est là pour combler les différences. » Vincent Bot, consultant stratégique pour Hoop Analytics, accompagne les clubs dans leur développement économique depuis une quinzaine d’année. Pour aller plus loin, il nous précise les intentions de l’EuroLeague. « Ce cap est là pour servir des clubs comme Alba, Paris, l’ASVEL qui ont des charges sociales plus importantes, et qui, en général, payent les joueurs en temps et en heure. Lorsque parfois, en Grèce, en Serbie ou à Monaco, on peut payer les salaires jusqu’à trois mois de retard. »
Le cas du Paris Basketball, avant-dernière masse salariale de la ligue devant l’Alba Berlin, est en effet parlant. Le club parisien a tout pour voir d’un bon œil ce modèle de luxury-tax, qui peut accélérer son ascension dans la cour des grands. Vincent nous l’explique. « Cela peut leur permettre de poursuivre leur engagement en EuroLeague sans fausse note. Avoir des revenus passifs redistribués par l’EuroLeague, non plus seulement par les droits télés, mais aussi par la luxury tax venant des gros clubs. »
Car au-delà de l’intérêt sportif, l’EuroLeague compte surtout assainir ses finances en proposant un modèle économique qui serait moins à perte pour les clubs. Un salary cap pour inviter les clubs à ne plus dépenser des millions dans le vide, et atteindre un équilibre financier viable. En voilà un bon point pour le développement de la ligue et de ses acteurs. Car aujourd’hui, il faut bien le dire, une participation à la plus prestigieuse ligue d’Europe ne rapporte pas beaucoup, bien au contraire.
« L’EuroLeague réagit au projet NBA Europe. »
vincent bot, senior strategic consultant pour hoop analytics
Avec la luxury tax que payeront les gros clubs, une redistribution va s’opérer entre les acteurs de la ligue, et les ‘’petits’’ vont donc pouvoir y trouver une source de revenu supplémentaire. « Ça vise à soutenir les petits derniers qui sont peut-être dans la panade mais qui sont des marchés clés pour certains. C’est d’ailleurs ce qu’avait fait la NBA pour revaloriser les petits marchés », nous recontextualise Vincent.
LA MENACE NBA
La comparaison avec la grande ligue nord-américaine est lourde de sens. L’ombre de la NBA, et son potentiel projet de créer une ligue en Europe, serait peut-être l’élément qui a accéléré les démarches de l’EuroLeague en faveur du salary cap. « J’ai l’impression que depuis les rumeurs NBA Europe, la peur a envahi l’EuroLeague. » Lorsque nous interrogeons Laurent Sciarra, aujourd’hui consultant EuroLeague pour TV Monaco, l’instauration de ces règles de fair-play financier est une forme de réponse à la menace NBA. « Ils ont choisi de faire le Final Four à Abu Dhabi en échange de quelques millions, maintenant ils instaurent ce salary-cap. Je pense qu’ils cherchent à se préparer. »
Vincent va dans le même sens dans son analyse économique. « J’ai l’impression qu’ils réagissent au projet NBA Europe. Là, ils accélèrent sur leurs annonces et enchaînent les contre-feux car ils ont la pression. » Rendre l’EuroLeague viable économiquement, serait donc un moyen de garder la confiance des clubs. « L’EuroLeague essaie d’avancer sur son business modèle. Cette luxury tax est là pour compenser le manque de redistribution des droits TV, qui ont du mal à être valorisés. Il n’y a qu’à voir en France, mais c’est aussi le cas en Allemagne et en Angleterre. Des pays que la NBA vise en priorité… »
L’EuroLeague cherche à se construire, à se renforcer structurellement. Et devant l’urgence de la situation, l’instauration de ce salary cap est un bon moyen.
Certes, l’EuroLeague pourrait devenir plus saine pour les clubs économiquement. Mais alors, dans ce futur contexte de concurrence, est-ce stratégique de limiter les budgets ? Vincent Bot reconnaît que le chiffre de 8M, cap salarial déterminé pour l’année prochaine, lui paraît « bas ». « Si le salary cap plafonne à une valeur basse, comme celle-ci, ils vont être en incapacité de mettre en place un vrai marché des transferts comme ils l’envisageaient un moment. »

Le Paris Basketball, un modèle économique (crédits photo : Paris Basketball)
QUELLE EFFICACITÉ ?
A l’heure où la NBA arrive, Laurent Sciarra nous partage son inquiétude. « Le problème, c’est que là, tu t’interdis de prendre des mecs à 2 millions, 3 millions, parce que tu veux instaurer ce salary cap pour peut-être une forme d’équité sportive. Mais en face, ils pourront mettre dix fois plus. »
Et la NCAA d’offrir des salaire mirobolants, et un projet de grande ligue entre Moyen-Orient et Asie de se discuter, et le championnat japonais de monter,… L’EuroLeague a fort à faire pour continuer d’exister dans le futur paysage du basket. Et une fois de plus, le nerf de la guerre, c’est l’argent.
« Je ne suis pas inquiet à propos de cette concurrence, reprend cependant Stephen Brun. Je ne suis pas sûr qu’il y ait beaucoup de clubs, en dehors de l’EuroLeague, capables de mettre 2-3 M sur un joueur. Et puis, cette ligue a fini de convaincre les garçons de venir y jouer. Avec son niveau, avec sa ferveur populaire », termine-t-il, rassurant.
La ligue européenne envoie un message fort avec l’instauration de son salary cap : elle prône le choix des finances saines et de la viabilité, plutôt qu’une explosion des budgets au détriment des clubs. Un choix qui sera payant ?
Notre consultant à TV Monaco émet quelques réserves. « Est-ce que ce salary cap va faire en sorte que tous les clubs vont s’acheter une virginité ? Je ne suis pas persuadé. Si c’est comme en NBA où certaines franchises assument de payer la taxe, j’ai du mal à croire que ça va tout arranger. »
UNE QUESTION DE TRANSPARENCE
Poursuivons l’analyse. Est-ce que cette limite salariale à ne pas dépasser, pourrait présenter le risque d’une corruption plus présente, contraignant les clubs aux fortes ambitions à contourner les lois ?
Vincent Bot nous décrypte la situation. « Ce qu’il faut comprendre, c’est que d’un point de vue salarial, en Europe, tu as les avantages en nature que tu n’as pas en NBA. En NBA tu as ton salaire et c’est tout. Après, pour l’appartement, si tu veux un préparateur physique, un nutritionniste, … c’est de ta poche. En Europe, tu as ta maison qui peut être comprise, la voiture, d’autres prises en charge, tout le staff qui est présent pour toi. Et je pense que l’arrivée du salary cap peut amplifier les montages avec ces avantages annexes qui contournent les règles. Il va être intéressant de suivre comment l’EuroLeague contrôle ce nouveau règlement. »
A travers l’instauration de ces règles de fair-play financier, l’un des objectifs de l’EuroLeague était la transparence des salaires, avec une obligation pour les clubs de communiquer les chiffres. Une démarche vertueuse, tant le manque de transparence a gangrené la ligue depuis ses débuts. Mais la complexité à calculer cette nouvelle luxury tax pourrait bien produire l’effet inverse de celui escompté. « L’EuroLeague n’a pas encore totalement communiqué sur les détails du calcul, pour déterminer les indices d’indexation qui détermineront la taxe. Contrairement à ce que l’on pourrait interpréter, la taxe ne s’appliquera pas sur un pourcentage de dépassement, mais cela comprendrait d’autres paramètres pour appliquer des coefficients », précise Vincent Bot, qui voit dans ces complications un frein au cap salarial, et à sa capacité de dissuasion.
D’ailleurs, en interne, le système présenté par l’EuroLeague est décrit par certains comme opaque, rendant quelque peu flou l’avenir proche des clubs à cet égard. Il reste quelques mois à la ligue européenne pour clarifier les choses, pour emmener les clubs avec elle. L’EuroLeague est définitivement parti en guerre, contre ses vieux démons de »ligue pour les riches », de manque de transparence, de passoire économique. Faire ses armes pour résister à la concurrence d’autres ligues, sûrement aussi. Si cela peut contribuer à son attractivité, à construire une compétition plus relevée que jamais, où l’ensemble des engagés pourrait prétendre au titre, allons-y.